Société/ Emigration clandestine
La saison estivale ou le pic des nouveaux boat people vers l’Europe
Les harraga : entre délinquance et quête de l’eldorado européen
Mohand Mellal*
De nombreux Marocains sont déterminés à quitter le pays. Les cadres sont aspirés par l’Amérique du Nord et les étudiants partent pour des post-graduations en Europe pour ne plus revenir. Ces continents les accueillent avec empressement parce qu’ils veulent se repeupler, et tant qu’à faire, autant que ce soit avec des jeunes gens diplômés. Les sujets sans qualification, grandes victimes de la mal vie et « laissés-pour-compte », tournent leur regard vers un Occident mythique qui ne veut pas d’eux, et rêvent. Leur rêve et leur vie sont ailleurs. Un ailleurs inconnu mais imaginé, fantasmé. C’est pourquoi ils veulent quitter le pays, se «casser d’ici», même au péril de leur vie. Pour où n’a aucune importance. Le sésame (le visa) est, pour ces personnes, impossible à obtenir. 60% des harraga ont demandé, au moins une fois, un visa qu’ils n’ont pas obtenu. Alors, ils tentent l’inimaginable. La « harga ». Voici un passage à l’acte qui survient au bout de la désespérance. Quelle signification donner à ce comportement, la harga ? Quelle lecture faut-il en faire ? D’aucuns pensent, les médias en ont maintes fois fait allusion, qu’il peut s’agir d’une conduite suicidaire. D’autres évoquent un comportement qui s’inscrit dans le registre de la délinquance. Nous pensons en particulier aux pouvoirs publics qui argumentent cette hypothèse. D’autres enfin imaginent dans la signification de ce passage à l’acte extrême, la volonté et le désir de vivre, une quête de bonheur. Ce comportement, la harga, ira en prenant de l’ampleur parce que de plus en plus de jeunes, et de moins jeunes d’ailleurs, émargent chaque matin au désespoir et à l’humiliation. La pauvreté et la misère sociale sont bien sûr les principales motivations invoquées par les candidats à l’émigration clandestine, pour justifier cette démarche. Les jeunes Marocains, il est vrai, sont particulièrement exposés et de façon « chronique » aux problèmes de la vie. Nombreux sont ceux qui font très tôt l’expérience de la galère.
Exclus de l’école, sans métier, ils se retrouvent dans la rue. Environ 400 000 élèves quittent chaque année l’école. 15% environ de ceux qui sont inscrits dans les centres de formation professionnelle abandonnent et nombreux (estimés à 40%) sont les étudiants qui laissent tomber leurs études universitaires. Tous ceux qui sont rejetés par le système scolaire viennent grossir le contingent des personnes qui sont déjà dans la rue et/ou les files d’attente sur le marché du travail. Il n’y a pas de travail. Le jeune Marocain sait qu’il n’en aura peut être jamais. Autour de lui, ses frères et sœurs, ses voisins, ses amis, tous sont dans la même situation.
L’avenir lui apparaît bouché. Avoir un logement, une voiture, des loisirs, pouvoir voyager... tout cela est impossible. La misère le guette, il en a la certitude. Les frustrations sont quotidiennes et les conduites toxicomaniaques constituent souvent les seuls moments d’évasion. Haschich, alcool, psychotropes ...etc. sont les moyens utilisés pour oublier et/ou pour trouver le bien-être et le bonheur, aussi fugaces soient-ils. Partir au plus vite de ce pays constitue alors « la solution » et la seule perspective d’avenir. Toutefois, la misère sociale et le chômage ne sont pas les seuls responsables de la détermination des sujets à « se jeter à la mer ». Nous pensons que ces raisons sont les moins importantes. Les jeunes Marocains ont soif de vivre. Ils sont au chômage, ils sont pauvres. Mais ils mènent aussi une vie de privation de toutes choses. Il n’y a pas de cinéma, le cinéma fait rêver. Il n’y pas de possibilités de faire du sport, le sport crée des liens et les renforce, le sport est source de détente, d’apaisement et d’épanouissement. Il n’y a pas d’espaces culturels, le théâtre et la mise en scène permettent au génie populaire de s’exprimer, de réduire les tensions intérieures et les tensions entre les’ individus. Le théâtre donne l’illusion de la liberté.
La musique adoucit les mœurs. C’est là une vérité qui ne trouve pas de prolongement dans le quotidien des jeunes de notre pays. La misère culturelle, fait encore plus de dégâts que la misère sociale. Que font les ministères de la Jeunesse et des Sports et celui de la Culture. Le premier est un ministère du « football ». Les ministres successifs qui ont occupé ce portefeuille n’ont eu que le souci de cette discipline sportive. Même de ce côté-là, il faut le dire, les résultats sont lamentables. Les stades sont devenus des arènes et les compétitions de foot sont, pour les jeunes, une occasion pour crier leur désespoir et exprimer dans la violence la haine qu’ils éprouvent pour les pouvoirs publics et la société. Les émeutes « sportives » habituelles à Casablanca entre les frères ennemis du Raja et du Wydad sont là pour nous le rappeler. Pour le département de M. Naciri, ce n’est pas rose non plus. La politique des festivals du ministère de la culture est décriée par les jeunes qui la trouve très loin de leurs vraies préoccupations.
Hors texte :
Quand la Harga est devenue le moindre mal pour la société…
Voici fabriqué le terreau où se recrutent tous les comportements extrêmes. La harga en est un. Sans doute, le moins dangereux de tous pour la société. Le citoyen marocain, en particulier le jeune, parce que plus vulnérable, est dans une impasse. Il a le sentiment que ses compétences sont inutiles et que ses initiatives sont impossibles. Il souffre parce qu’il n’a pas la possibilité de faire des choix et d’exercer son libre arbitre. Il est malheureux parce qu’il a forgé la certitude qu’il n’aura jamais l’initiative sur son destin et qu’il ne pourra pas se réaliser dans son pays. Il est désespéré parce qu’il a conscience que son bien-être n’est pas la préoccupation des pouvoirs publics et que ces derniers n’ont pas de projet pour lui. Pris au piège, le sujet tente de s’en sortir. L’un se réfugie dans la drogue pour oublier, l’autre se jette à l’eau pour s’en aller, le plus désespéré met fin à ses jours. Toxicomanie, suicide, harga mais aussi émeutes récurrentes et recrutement terroriste, sont des comportements extrêmes et des signaux sociaux qui alertent, de toute évidence en vain, les décideurs de ce pays. Les jeunes qui ont choisi de partir ont le désir de vivre. Ils sont les plus déterminés et les plus aptes à réussir même si d’aucuns considèrent qu’il s’agit là d’une entreprise suicidaire. Certains journalistes n’ont pas hésité à qualifier ce comportement de suicide collectif. Ils pourraient être dans le vrai. Pourquoi ? Parce que le risque pris par ce projet migratoire est trop grand et que l’idée de rencontrer la mort durant le voyage semble une donnée intégrée et acceptée. « L’espoir est ailleurs, seule la mort nous en dissuadera » ou encore « Je préfère finir dans le ventre d’une houta plutôt que dans celui d’une douda ». Dans les deux cas la mort est au rendez-vous. Ces propos tenus par des récidivistes de l’émigration clandestine sont significatifs de l’état d’esprit dans lequel se trouvent les jeunes Marocains, ils témoignent de leur détermination à prendre le risque.
* Journaliste Stagiaire
lundi 25 août 2008
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